* 1914-1918
La commune de Castanet-le-Haut
se souvient : « la grippe espagnole »
En août 2014, une exposition dans la salle commune de l’école de Pabo a permis de faire revivre la mémoire de la centaine d’hommes de 21 à 48 ans partis à la guerre, dont trente-trois « Morts pour la France » ne sont pas revenus.
Denise Alliès (104 ans alors) nous avait confié ses souvenirs de toute petite fille. Et bien d’autres encore...
Elle n’est plus parmi nous aujourd’hui, mais sa mémoire demeure.
LA GRIPPE ESPAGNOLE
L’exposition achevée, notre souhait était alors de poursuivre ce travail de mémoire par une présentation de la vie quotidienne du village entre 1914 et 1918, la vie à « l’arrière ».
Ce projet n’a pu être mené à bien, aussi avons-nous décidé, en cette période où l’on parle souvent de la fameuse « grippe espagnole », d’évoquer la mémoire de trois femmes qu’elle a emportées en 1918, loin du front, et dont les noms ne figurent pas sur le monument aux morts.
En 1918, alors que la guerre touche à sa fin, une épidémie de grippe, sans doute apparue en Asie, touche les Etats-Unis d’Amérique puis s’étend au monde entier. Durant deux ans, frappant indifféremment les soldats et les civils, la « grippe espagnole » fera en France plus de 400 000 morts.
Sans que l’on sache comment (la maladie fut-elle apportée par les soldats en permission ou de retour du front ?), la commune de Castanet-le-Haut sera atteinte en automne 1918, et comptera trois victimes dans les hameaux du Péras et des Sauzes.
Uranie Joséphine ALLIES
Née au Péras le 11 avril 1894 de Jean Alliès et de Irma Farenc, dans une fratrie de neuf enfants (quatre filles et cinq garçons), Uranie était célibataire et vivait au hameau des Sauzes avec ses parents.
Moins d’un an après le décès de son père scieur de long, 66 ans, en novembre 1917, elle est atteinte par la maladie et décède dans la maison familiale le 23 septembre 1918 à 7 heures du matin, à l’âge de 23 ans. Elle sera inhumée au cimetière de Castanet.
Irma, sa mère, lui survivra 10 ans.
Claire Marie Marguerite ALLIES
Née à Saint-Gervais-sur-Mare le 1er juillet 1902 de Ismaël Alliès (« Nounou » l’un des 4 frères Alliès du Péras, 1874-1955) et de Marie Combès de Saint-Gervais, Claire vivait au Péras avec ses parents et son frère Fernand, de cinq ans son cadet, dans la maison accolée à la première maison construite par son grand-père Antoine (1) Alliès, « papé Pitchoun ».
Au moment où il partit à la guerre en 1914, Ismaël était cantonnier, travaillant avec pelle et brouette à l’entretien des routes jusqu’aux limites de l’Aveyron. Revenu du front, il reprit son travail sur les routes.
Atteinte de la grippe espagnole, Claire décède au Péras le 23 septembre 1918 à 20 heures, à l’âge de 16 ans. Elle sera inhumée dans la tombe de la famille Combès au cimetière de l’église Notre-Dame de Lorette à Saint-Gervais.
Elle était la nièce de Marie Alliès, « Madame Alliès » l’institutrice.
Une figure importante dans la vie de la commune : « Madame ALLIES ».
Marie Jeanne ALLIES
Fille de Bénigne Cormillot et de Joséphine Stoecklin (tous les deux tailleurs), Marie naît le 26 octobre 1869 à Montpellier.
Le 11 mars 1891, succédant à Nathalie Piques, Marie Cormillot, 22 ans, titulaire du brevet supérieur, prend ses fonctions d’institutrice titulaire à l’école de Pabo, où elle emménage dans l’appartement de service.
Pendant 27 ans, elle aura pour élèves les très nombreux enfants de Pabo, Moulières, le Ravin, le Péras, les Sauzes, Sainte-Barbe, Belair (Le Bessou) et le Moulin d’Olque.
Le 26 septembre 1895, âgée de 25 ans, elle épouse à la mairie et à l’église de Castanet Antoine (3) « Tanou » Alliès du Péras, 24 ans, propriétaire et maquignon, en présence de leurs mères respectives, toutes les deux veuves.
Antoine (3) « Tanou » était l’aîné de trois autres garçons : Eugène « Eugénou », Ismaël « Nounou », Denis « Nissou ». Cette fratrie a été élevée par le grand-père Antoine (1) et son épouse après le décès de leur père Antoine (2) à l’âge de 34 ans.
Marie Alliès donnera naissance à trois enfants : Antoine (4) en 1897, Yvonne en 1901 et Charles en 1903. Le logement de l’école où le couple demeurait étant alors devenu trop petit, la famille emménagera vers 1910 dans la maison qu’il avait fait construire au Péras à côté de l’auberge.
Elu maire le 16 juin 1912, Tanou partira au front comme quatre autres élus parmi les douze que comptait la commune.
Durant son absence à partir du printemps 1915, les comptes-rendus des réunions le disent « empêché » et c’est son adjoint Marius Gayraud qui le remplace dans ses fonctions.
Marie l’institutrice assure alors le secrétariat de la mairie, tenant les registres d’état civil et ceux du conseil municipal.
Dans les courriers qu’elle adresse à son mari, elle parle de la vie quotidienne mais évoque aussi la vie de la commune : « Aujourd’hui dimanche je ne sais si le conseil municipal se réunira. Si Marius* de la Baraquette (* Gayraud, le maire par intérim) peut être de retour de Béziers, on le tiendra, sinon ce sera pour dimanche prochain. Si l’on ne se réunit pas aujourd’hui, j’irai à Castanet » (carte envoyée du Péras le 18 juillet 1915).
Sur le registre d’état-civil de 1918, c’est elle qui inscrit les quatre premiers décès de l’année.
L’écriture du registre change ensuite pour les décès d’Uranie et de Claire le 23 septembre. Marie était-elle déjà malade ?
Le 10 octobre à 4 heures, 17 jours après les deux jeunes filles, Marie décède de la grippe espagnole, peu avant ses 49 ans, laissant Tanou veuf à 48 ans et ses enfants de 21, 17 et 15 ans. Elle sera inhumée au cimetière de Castanet.
Un mois plus tard, Mademoiselle Galibert, institutrice stagiaire, la remplacera à l’école.
De nouvelles élections municipales eurent lieu fin 1919. Tanou, sans doute très éprouvé et qui n’assistait plus aux réunions, fut élu conseiller. Jean Vidal lui succéda comme maire et Marius Gayraud resta adjoint.
Quelques souvenirs de Denise Alliès
Née en 1910 au Péras, Denise (fille de Denis « Nissou » et d’Henriette Alliès) commença sa scolarité en 1915 à l’école de Pabo. Et tous les jours, matin, midi et soir, elle faisait le chemin le Péras-Pabo (plus tard remplacé par la route actuelle) en compagnie de sa tante Marie, l’institutrice, et des autres enfants des hameaux du haut. Sur le chemin, elles rencontraient souvent Jacques Alliez ou d’autres hommes du village menant leur troupeau de brebis ou de chèvres, et que les écoliers devaient saluer d’un « Bonjour monsieur ».
Henriette, âgée de 28 ans, alors mère de Denise et Moïse (8 et 6 ans), contracta elle-aussi la maladie. Veillée et soignée par Joséphine Alliez de Pabo, Marie Aubagnac, Madame Mounis et Madame Pons de Castanet, elle survécut, donnant naissance les années suivantes à René, Suzette, Noëlle et Gérard.
Denise se souvenait aussi avoir vu le corbillard d’Uranie descendre des Sauzes pour rejoindre le chemin vers Castanet.
Mais elle ignorait si d’autres personnes de la commune avaient eu la grippe espagnole.
En début d’année 1918, décès de Marguerite Boutinaud, 17 ans à Sainte-Barbe, Bazile Valette, 80 ans à Ginestet et Marie Maurel, 61 ans au Basset.
Puis, cinq jours après Uranie et Claire, Louis Blancard, 49 ans, meurt au Fau le 28 septembre.
Après Marie Alliès le 10 octobre, c’est au tour de Germain Bonnafous, 16 ans, à Castanet le 12 novembre, puis Jacques Farenq, 73 ans, le 9 décembre à Pabo.
En dehors de Hyacinthe Cavaillès (40 ans, « mort pour la France » en 1915 mais inscrit sur le registre en 1918), on ignore les causes de tous ces décès, ou d’autres ultérieurement.
Ces habitants de la commune furent-ils victimes de la grippe espagnole ?
Cherchant à compléter nos connaissances, nous faisons appel à vous, lecteurs, pour tous renseignements ou documents sur cette période et ces événements.
Magdeleine CLERMONT-JOLY
A partir des archives communales, des souvenirs des familles et de l’ouvrage Mine de rien de Dominique Alliès.